Quel modèle économique pour les Comedy Clubs?

9 janvier 2024 – On en parle dans le dernier numéro du journal de la SSA

Merci à la SSA et à Natasha Rossel pour cet article consacré aux enjeux économiques du stand-up que nous reproduisons ici avec leur aimable autorisation :

 

Les Comedy Clubs, un tremplin pour le stand-up

Par Natacha Rossel

Le stand-up fait un tabac sur les plateaux d’humoristes de Suisse romande. Mais le travail des artistes n’est pas encore reconnu à sa juste valeur.

Un rideau, un micro et une déferlante de blagues face à une audience hilare. Partout en Suisse romande, le stand-up fait fureur dans les Comedy Clubs. Les plateaux d’humoristes essaiment dans les bars, restaurants et boîtes de nuit – plus rarement dans des salles de spectacle. Le public est au rendez-vous. De quoi donner la banane à tout le monde ? Pas tout à fait…

Si rire, c’est bon pour la santé, les standuppers rient parfois jaune au moment de calculer leurs revenus à la fin du mois. Car le modèle économique reste précaire pour les humoristes.

« Les artistes abattent une quantité de travail impressionnante en amont, en qualité d’auteurs et d’autrices.»

«Il y a ce sentiment que le stand-up est entièrement improvisé. Cet aspect naturel, sur le vif, fait partie de la magie du stand-up, observe Emilie Chapelle, cofondatrice du Caustic Comedy Club à Carouge. Mais en réalité, les artistes abattent une quantité de travail impressionnante en amont, en qualité d’auteurs et d’autrices.» Or, une grande partie peine à joindre les deux bouts. «Près de la moitié de nos membres, voire plus, a une autre occupation rémunérée à côté de sa pratique », précise Julien Amey, secrétaire général de l’Union Romande de l’Humour (URH), née en 2020, dans le but de structurer cette branche des arts de la scène.

Chapeau, l’artiste !

Souvent, les stand-uppers sont rémunérés au chapeau. « Quand Thomas Wiesel a commencé, ce n’était même pas au chapeau, mais au sandwich ! », confie Sébastien Corthésy, humoriste, producteur et directeur de Jokers Comedy. Derrière l’anecdote, la situation est complexe. «On est contre la rémunération au chapeau, qui dévalorise le travail des artistes, réagit Frédéric Recrosio, humoriste à la tête du Théâtre Boulimie. Pour jouer plus souvent et « tester » leur matériau, certains l’acceptent, mais créent alors un précédent nuisible au métier, car peu à peu ces logiques s’imposent. »

Le théâtre lausannois, qu’il co-dirige avec Marion Houriet, a mis sur pied des plateaux d’humoristes rémunérés : le Couleur 3 Comedy Club (en partenariat avec Couleur 3), l’Open Air (avec la complicité du Caustic Comedy Club) et le Boulimy Comedy Jeudy. « On joue tout le temps à guichets fermés », relève-t-il. « Pour une soirée avec deux représentations, on rémunère l’artiste 500 francs, ajoute Marion Houriet. Jouer deux fois et à guichets fermés est notre contrainte pour pouvoir s’approcher du cachet de 300 francs par passage, qui est le tarif recommandé par l’UHR. On paie en plus la location du lieu, les droits d’auteur (qui reviennent à l’humoriste) et l’impôt sur le divertissement.» L’artiste qui prend en charge l’anima- tion reçoit un cachet de 750 francs.

À Carouge, le Caustic Comedy Club est l’unique théâtre de Suisse romande voué entièrement au stand up. Emilie Chapelle et Olivia Gardet pro- posent plusieurs formules dans ce lieu qu’elles ont fondé en 2017. Le Caustic fonctionne avec des contrats de co-réalisation, soit un partage

50-50 des recettes de billetterie. Pour le public, le prix se situe dans une moyenne de 27 francs. Le théâtre organise des plateaux d’humour sur place et hors-les-murs. Dans ce modèle, un montant minimum est garanti pour les artistes. En parallèle, leur société Caustic Sàrl produit trois artistes : Cinzia Cattaneo, Thibaud Agoston et Félix Ringaby. « On les aide à développer leur car- rière et on organise leurs tournées », détaille Emi- lie Chapelle. Le gros du chiffre d’affaires provient de mandats privés avec des entreprises ou insti- tutions et des productions de spectacles dans de grandes salles via des contrats de cession.

« Le chemin se fait, on sent que la curiosité se développe petit à petit.»

« Si on ne fait pas assez de recettes pour payer les artistes correctement, il faut modifier la jauge, augmenter le prix des places, ou encore aller chercher de l’argent ailleurs, explique Frédéric Recrosio. Je trouve intéressant le modèle du Kremlin Comedy Club à Monthey, créé par Philippe Battaglia. Il est allé chercher de l’argent privé. Des marques sponsorisent ses événements et font venir leurs clients. »

La route vers les soutiens et subventions

Car, à de rares exceptions près, les subventions se font rares dans le monde du stand-up. Le Caustic Comedy Club ne reçoit aucun soutien public. « Nous faisons face à la problématique que cette discipline n’est pas reconnue dans l’écosystème culturel. Les programmateurs et programmatrices sont plus frileux face à des propositions de stand-up, et demandent souvent s’il y a des personnages dans le spectacle. Mais le chemin se fait, on sent que la curiosité se développe petit à petit », constate Emilie Chapelle.

«Les bourses SSA de soutien à l’écriture de spectacles d’humour sont un bon début, mais nous manquons encore cruellement de moyens sur le long terme.»

« On fait face à un préjugé de longue date : l’humour, ça marche bien, donc il n’y pas besoin d’argent», observe Julien Amey. Et la route est encore longue. «On a en tête Yann Lambiel ou Thomas Wiesel qui cartonnent. Mais il y a toute une vague émergente qui a besoin de soutiens financiers pour le travail d’écriture, les répétitions et des lieux qui permettent de tester les sketchs », insiste Julien Amey. Sébastien Corthésy affirme pour sa part : « Beaucoup pensent qu’un spectacle de stand-up ne coûte presque rien et que le travail d’écriture sera couvert par les droits d’auteur. Mais cela ne correspond pas à la réalité ». Aude Bourrier se consacre avec passion à sa carrière dans l’humour. Issue du monde du théâtre subventionné, où elle bénéficiait de l’intermittence, elle a d’abord combiné théâtre et stand-up. Elle est maintenant proche de se consacrer pleinement à l’humour, même si parvenir à une stabilité financière est un défi. Car les périodes d’écriture et de répétitions ne sont pas rémunérées dans l’humour. L’artiste souligne l’importance d’un soutien accru pour le stand-up, sans lequel une professionnalisation du métier est impossible. « Les bourses SSA de soutien à l’écriture de spectacles d’humour sont un bon début, mais nous manquons encore cruellement de moyens sur le long terme.»

Chroniques radio

Les chroniques radio sont-elles un nouvel eldorado pour les humoristes ? « Economiquement parlant, ça peut arrondir les fins de mois s’il y a une vraie régularité, mais on observe surtout un nouveau parcours pour le stand-up depuis l’arrivée du Couleur 3 Comedy Club porté par la RTS et le Théâtre Boulimie. Des chroniqueuses et chroniqueurs ont très rapidement accès à des plateaux et résidences rémunérés sans passer par les étapes «traditionnelles» du stand-up dans la montée des échelons, avec au début le travail au chapeau dans les bars, observe Olivia Gardet. Il y a donc ce nouveau tremplin propre à la Suisse romande qui existe en parallèle du modèle économique très précaire du stand-up.» Membre du pool d’humoristes de RTN et parfois chroniqueuse sur One FM, Aude Bourrier apprécie ces opportunités enrichissantes, qui lui offrent plus de visibilité. En effet, une grande partie du travail d’humoriste consiste à élargir sa fanbase pour pouvoir ensuite remplir les salles. « Ceci est important parce que les humoristes sont souvent rémunérés à hauteur de 50% des recettes de la billetterie », rappelle-t-elle. Elle déplore cependant le fait que « certaines radios demandent encore des chroniques bénévoles, ce qui doit changer pour mieux soutenir les humoristes. »

« Certaines radios demandent encore des chroniques bénévoles, ce qui doit changer pour mieux soutenir les humoristes.»

Les chroniques radio jouissent d’un avantage immense: elles sont relayées sur les réseaux sociaux. Un tremplin de taille, relève Frédéric Recrosio: «Le décollage, c’est les réseaux. Yann Marguet et Thomas Wiesel ont acquis un public immense en étant diffusés sur des plateformes. » Mais, pour l’heure, rares sont les humoristes qui se présentent uniquement en ligne, constate Julien Amey : « En Suisse romande, je n’ai pas encore repéré de talents qui se contentent de vidéos sur les réseaux. La scène, la radio ou la TV restent des passages obligés. »

Toutes et tous s’accordent à dire que l’humour a besoin de se structurer et de trouver des financements pour soutenir l’écriture. La création de l’UHR est un premier pas. Pour porter un message : si jubilatoire soit-elle, cette discipline est certes une passion, mais aussi un métier.

Par Natacha Rossel

Lire le Bulletin no 136 de la SSA